elle ne connaissait qu'une sourate Al Ikhlass

mardi 23 octobre 2012

A combien se vendent les cerveaux des enfants durant leur période d’apprentissage scolaire ? réflexions sur le léviathan pédagogique


A combien se vendent les cerveaux des enfants durant leur période d’apprentissage scolaire ? la question semble curieuse mais je vais m’expliquer. Je vais d'école primaire en école primaire tous les jours où c'est possible à réparer les tableaux de classe. Et à l'occasion je m'interroge sur les contenus des programmes de formation sur lesquels se basent les enseignants pour établir leurs cours. je ne suis pas sur que les éducateurs  mesurent  l'étendue de ce qu'ils font même s’ils en constatent irrémédiablement les effets sur le développement et le comportement  des jeunes adolescent et des jeunes adultes.

Une classe c'est véritablement du temps de cerveau disponible. une trentaine par classe en moyenne auxquels on inculque des savoirs et des valeurs, un cousin disait des cerveaux que l'on flashe comme on flashe les mémoires des puces d'ordinateurs et de téléphone… l'idée est un peu restrictive et anthropomorphique mais elle veut bien dire ce qu'elle veut dire. L'essentiel des automatismes sociaux et des savoirs- acquis le sont dans l'espace éducatif autant que dans l'espace familial : savoir se mettre en rang, savoir danser et jouer ensemble et par groupes, en plus de savoir compter lire et raisonner.  Sans compter l'acquisition des références culturelles communes qui sont propres à chaque pays et à chaque espace civilisationnel. 

C’est pourquoi les enjeux sont très important quand au choix des méthodes et des contenus éducatifs au niveau des échelons supérieurs des bureaucraties éducatives (ministères et directions de l’enseignement et de la formation notamment).  Les enjeux sont d’ailleurs aussi  bien éducatifs, financiers que politiques.

Le fait est que le constat de base qui est fait est toujours le même : « L'école produit des jeunes qui ont acquis des connaissances pendant plusieurs années, mais qui sont incapables d'en tirer parti dans la vie de tous les jours », soit l’inadéquation entre les savoirs transmis  dans les infrastructures éducatives et les besoins réels des sociétés.  Il y a quelques années, j’ai suivi cette affaire dans les journaux, ils ont introduit au Maroc et à grand frais, dans le cadre d’un plan d’urgence du ministère, une nouvelle méthode pédagogique, dite pédagogie de l’intégration. Les technocrates du ministère, ( L'Equipe du Centre National des Innovations Pédagogiques et de l'Expérimentation du Ministère de l'Education Nationale) ont fait appel à une expertise du  Bureau international d'éducation (BIE), un institut de l’UNESCO spécialisé dans les contenus, les méthodes et les structures de l’éducation dont la  mission principale est de « contribuer à atteindre une éducation de qualité pour tous (EPT) »  au travers de réseaux  visant à «partager l’expertise en matière de développement du curriculum dans toutes les régions du monde. » Cette expertise, qui a coûté une fortune au pays,  fut initiée et suivie au Maroc par un consultant « Conseiller scientifique de la réforme éducative de l'enseignement primaire et secondaire collégial, , 2008-2010 » ainsi qu' une trentaine d’experts internationaux. 

L’expérimentation (avec comité de pilotage, chargés de suivis et tutti quanti) a été programmée pour trois ans et n’a pas été reconduite suite à l’opposition et aux réticences d’une grande partie du corps enseignant. Il faut voir au passage que des solutions pédagogiques  il y en a un paquet : pédagogie du projet, pédagogie par situation-problème, pédagogie coopérative,  pédagogie différenciée,  pédagogie de la maîtrise,  pédagogie de contrat,  pédagogie de la faute et de l'erreur, pédagogie de l'activité, pédagogie du modèle, pédagogies actives... etc. la pédagogie intégrative qui n’est jamais qu’une  pierre de plus ajoutée à l’édifice théorique des sciences pédagogiques  n’est pas forcément une révolution ni un miracle. Mais elle a un coût.

C’est un enseignant qui me l’a expliqué : Il y a non seulement les émoluments des conseillers et des experts internationaux, mais aussi les salaires de centaines de formateurs en nouvelle pédagogie ainsi que les frais de détachement de milliers d’enseignants et d’enseignantes rémunérés, à juste titre  parfois pour participer aux stages de formations visant à les initier aux nouvelles méthodes pédagogiques. D’après l’enseignant qui m’a évoqué l’affaire (c’était dans les environs de Marrakech il y a quelques mois) c’est pour ainsi dire toute une pyramide de pique-assiettes qui sont ainsi invités à participer à une véritable gabegie nationale et budgétaire. On peut parler de gabegie parce qu’au bout de trois ans, la nouvelle pédagogie n’ayant pas donné les résultats escomptés, le programme a été suspendu. En attendant probablement une nouvelle réforme initiée par de nouveaux technocrates …

S’agissant du coût de ces prétendues réformes il est en revanche très élevé. Aussi bien en argent qu’en heures de travail. Mais il y a aussi d’autres points. D’abord le phénomène n’est pas limité au Maroc ni aux pays du tiers monde. En France notamment, on  reforme et abroge périodiquement, au fil des changement de gouvernement et des concertations avec les syndicats d’enseignants, des dispositifs mis en place par les équipes précédentes pour les remplacer par d’autres ; tout en faisant malgré tout le constat d’une détérioration  régulière, à l’image de la fonte d’un iceberg, du niveau et de la qualité des rendements pédagogiques. Cela va de la réécriture régulière des programmes de l'école primaire et du collège jusqu’à la réévaluation des rythmes scolaires comme c’est le cas lorsqu’on parle de  mise en place de la semaine de neuf demi-journées, etc. .  C’est donc un phénomène général dont les incidences sont mesurées mais pour lesquelles il n’y a pas de solution miracle, mais un tâtonnement permanent et couteux. Mais il n’y a pas que le coût et ce n’est pas seulement une question de budget et de moyens. 

Le fait est que l’appareil éducatif responsable de la formation de générations d’enfants de par le monde, se comporte comme un laboratoire d’expérimentations scientifiques chargé de louer des cobayes ou pour être plus précis de louer du temps de cerveaux d’enfants. Je ne parle pas bien sur des individus et de leurs intentions toujours louables dans l‘absolu mais de l’épreuve de réalité. Quand on expérimente durant deux, trois ou cinq  ans un programme de formation et que l’on en change, puis change et rechange à nouveau; à l’échelle des générations et des pays, c’est  comme si l’on changeait de chemises tous les jours. Dans les faits ce sont essentiellement des transferts économiques qui sont cautionnés. Tel fournisseur de contenu est remplacé par tel autre fournisseur de contenus avant qu’un autre ne vienne à nouveau prendre une place qui sera de nouveau vacante au bout de quelques mois ou années. Il en est d’ailleurs de même des livres de classes qui de nos jours sont refondus presque de fond en comble au bout de quelques années alors que par le passé (pas si ancien) il fallait une génération (quinze à vingt ans voire plus) avant que l’on ne change de support d’enseignement.

Pendant la période où tel ou tel programme de formation est déployé ce sont ainsi des générations d’enfants, des esprits éminemment malléables (le cerveau d’un enfant est comme une éponge disait je ne sais plus quel savant) qui sont ainsi en quelques sorte loués ou vendus à tel ou tel scientifique le temps d’une expérience toujours à prétention réformatrice. Les ministres n’ayant pas forcément le temps de penser à tout mais qui doivent quand même proposer des projets novateurs, ce sont en conséquence des think thank sous la forme d’institutions pédagogiques nationales ou internationales qui se chargent de fournir le capital d’idées et de méthodes pédagogiques nécessaire pour alimenter les services et directions éducatives du léviathan (une métaphore qui désigne l'État chez Thomas Hobbes). Si ces organisations fournissent ,donc vendent,  des contenus, qu’achètent-elles en retour ? ce qu’elles achètent ce sont ces milliers voire millions d’esprits qui serviront pendant une durée plus ou moins courte de supports pour les idées produites dans les laboratoires de la pensée pédagogique.  

La réponse à la question posée en tête de ces lignes n’est donc pas si difficile ni complexe :  A combien se vendent les cerveaux des enfants durant leur période d’apprentissage scolaire ? pour quelques centaines de milliers d’euros et pendant trois ans un centre de recherche peut s'offrir des milliers de cerveaux d’élèves, le temps d’une expérimentation abandonnée au bout de la troisième année. Pas si cher finalement.